Le professeur Charles-Xavier était plongé dans un livre des plus intéressants, concernant l’éternel sujet de la génétique humaine. Perdu dans ses longues réflexions quant aux mutations de l’humanoïde, il leva la tête à l’entente d’un faible coup contre la porte de bois, séparant son bureau de l’un des nombreux couloirs traversant l’institut. Lâchant un « Entre » des plus sérieux, l’homme referma le livre qu’il posa sur une étagère de sa bibliothèque avant de faire rouler son fauteuil auprès de son invité. Il fut surprit d’apercevoir Erïka, semblant au plus bas de sa forme, l’observer silencieusement avant de s’avancer vers lui. Il ne se serait guère attendu à la voir cogner à sa porte de son plein gré, n’étant pas de ces personnes aimant parler, et encore moins se confier. Les derniers événements avaient peut-être fait changer les choses ? À moins qu’elle ne vienne simplement exiger ses armes qu’elle trimballait avec elle au moment de son arrestation ? Il n’en serait guère étonné, mais au vu des yeux rougis de l’adolescente, de son regard apeuré, mais contenant une once de détermination à peine perceptible, il semblerait que l’objet de sa visite soit tout autre.
-« Aidez-moi. » furent les seuls mots qu’elle prononça.
Le professeur retint son étonnement. C’était la première fois qu’Erïka osait lui demander de l’aide, s’il faisait exception de son court séjour en prison où elle nécessitait la venue d’un quelconque tuteur pour la sortir de là. Nombreuses étaient fois il avait tenté de lui faire ouvrir son cœur, son esprit, de sorte qu’elle puisse lui confier la source de son agressivité, de son comportement associable, des nombreux problèmes qu’elle causait, sans succès. Elle restait un grand mystère pour lui. Il ne voulait s’infiltrer dans ses pensées et souvenirs sans sa permission, ce qui serait comme une violation de sa vie privée. Il se doutait bien que s’il le faisait, elle entrerait dans une rage folle et quitterait les lieux en claquant violemment la porte, si elle ne s’acharnait pas sur lui. Il avait donc été patient, se disant, qu’un jour, elle oserait venir cogner à sa porte, comme elle venait de le faire. Offrant, d’un chaleureux signe de la main, un fauteuil confortable à la jeune fille, cette dernière s’y dirigea avant de s’y laisser mollement tomber, sans un mot. Elle n’osait regarder le professeur droit dans les yeux comme elle le faisait habituellement. Erïka se contenta simplement de fixer un point dans le vide. Enfin de briser ce mutisme des plus glacials entourant l’adolescente, Charles prit la parole, l’encourageant ainsi à s’exprimer.
-« Je suis heureux que tu sois venu me voir, Kathleen. Dis-moi, en quoi puis-je t’aider ? »
Erïka ouvrit la bouche, sans qu’aucun son n’en sorte. Normalement, elle aurait vociféré avec véhémence qu’elle se nommait Erïka et que cette « Kathleen » n’existait plus depuis des lustres. Pas cette fois. Elle n’en avait guère la force, encore moins la volonté. Malgré tout le sommeil dont elle avait su profiter durant ces derniers jours, l’adolescente se sentait lasse, dénuée de toute force physique. Scellant ses minces lèvres rosées, elle tenta de mettre de l’ordre dans son esprit embrumé par un flot d’émotions. Elle n’arrivait à articuler le moindre mot, malgré le fait qu’elle savait parfaitement ce qu’elle avait à lui révéler. Pourquoi n’arrivait-elle pas à délier sa langue ? Elle ne savait guère par où débuter l’histoire. Elle pourrait aussi bien lui raconter sa rencontre avec Duncan, mais pour expliquer qui était ces hommes qui avaient tenté de l’agresser, elle se devait de parler de la secte, et donc de raconter les douloureux événements de son enfance. C’était trop dur. Elle n’avait jamais vraiment reparlé de sa terrible expérience dans les bois, coincée dans la maison du diable, pas même avec son frère, depuis leur retour dans les quartiers de New-York. Quoi qu’il en soit, son comportement inhabituel commençait à inquiéter le professeur, ce qui se lisait parfaitement dans son regard.
-« Je ne sais pas par où commencer. » fit-elle, coupant ainsi ce long moment de silence.
-« Prend ton temps. Mets de l’ordre dans tes pensées. »
Le professeur était compréhensif. Il savait se montrer patient envers ses étudiants. Après tout, s’il n’avait pas posséder une once de cette vertu, comment en serait-il venu à tenir cette école pour mutants ? Il se devait d’être à l’écoute de ses élèves, de les pousser à se dépasser, de les encourager dans leurs projets futurs, de les aider lorsqu’ils se sentaient égarés dans ce vaste monde où homos sapiens et homos superiors n’étaient guère en mesure de cohabiter ensemble. Aujourd’hui, face à cette élève que bien des gens qualifieraient de « difficile », il devait démontrer tout autant de patience, malgré la pointe de curiosité qui le tiraillait. Finalement, l’adolescente mis fin à cette éternelle attente, ouvrant de nouveau la bouche pour prononcer quelques mots.
-« C’est… c’est une longue histoire… »
Erïka tenta de poursuivre, mais sa gorge se serrait. Elle n’arrivait pas à faire sortir le moindre mot, le moindre son, comme si son esprit se refusait à ce qu’elle évoque le passé, son cerveau bloquant sa mâchoire avant qu’elle ne prononce un mot de trop. Malgré tout son bon vouloir, l’adolescente n’arrivait pas à s’exprimer. C’était terriblement désagréable comme sensation et, surtout, des plus agaçants de ne pas arriver à prononcer un simple mot. Serrant les poings, fâchée contre sa propre personne, Erïka, ferma les yeux et inspira lentement avant d’expirer longuement. Battant des paupières, elle ouvrit calmement les yeux pour constater que le professeur Xavier l’observait toujours, les coudes posés sur les accoudoirs de son fauteuil roulant, les mains jointes, attendant patiemment qu’elle poursuive.
-« J’y arrive pas… » Se résigna-t-elle, la voix brisée.
Elle était désarmée, incapable de dire quoi que ce soit en rapport avec son passé. Elle n’allait pas y arriver. Cette action, qui lui semblait si simple aux premiers abords, était très loin de l’être. L’adolescente comprenait, à présent, ce que c’était que d’être plongée dans un mutisme absolu, de fermer les yeux et de continuer à vivre paisiblement comme si rien ne s’était produit. Se confronter à l’horreur était si difficile après de nombreuses années. Erïka savait qu’elle ne pourrait y arriver seule. Le professeur semblait avoir compris la détresse psychologique dans laquelle elle se trouvait et, comme s’il avait véritablement lu son esprit, fit doucement rouler son fauteuil vers elle.
-« Tu permets que je lise tes pensées ? » demanda-t-il, aimablement.
Aussitôt, la jeune fille secoua énergiquement la tête de droite à gauche, refusant qu’il puisse accéder à son esprit. Il ne voulait pas voir les horreurs se cachant dans son esprit. Il ne voulait connaitre les deux pires années de son existence. Elle préférait ne pas y repenser, tout oublier. Ainsi, elle revenait au point de départ et ne pouvait résoudre la situation dans laquelle elle se trouvait. C’était un cercle vicieux et terriblement fourbe dans lequel elle s’empêtrait de plus en plus. On lui tendait une main pour en sortir. Elle devait profiter de cette chance inouïe qu’elle possédait, car ce n’était pas tout le monde qui pouvait compter sur quelqu’un et confier de si terribles choses. Elle devait faire confiance au professeur. Ça n’allait tuer personne qu’il puisse lire ses pensées et ses souvenirs, non ? Sauf, peut-être, elle… C’était la partie la plus difficile à faire. Ensuite, la jeune fille se sentira bien mieux. Enfin, c’était ce qu’elle se disait dans le but de se convaincre, car, sinon, cette visite n’aura servie à rien.
-« C’est trop horrible, croyez-moi. »
-« S’il faut le faire pour que je puisse t’aider, je le ferais. »
Erïka soupira longuement avant d'oser croiser le regard du professeur. C'était peut-être difficile à accepter, mais elle devait le laisser entrer dans son esprit pour y voir les horreurs s'y cachant. Ainsi, il pourrait comprendre. Ainsi, il pourrait tenter de l'aider. Bien qu'elle ne reposait pas tous ses espoirs sur lui, elle avait besoin de quelqu'un pour l'accompagner dans cette sordide affaire qu'elle souhaitait régler au plus tôt. Joignant ses mains ensemble, la jeune fille acquiesça finalement, penchant légèrement la tête vers l'avant, lui signifiant son accord.
-« Ce que vous allez y trouver ne va pas vous plaire. Je vous aurais prévenu. »
Le professeur approcha doucement sa main de la tête de la jeune fille, comme s'il approchait une bête sauvage qu'il tentait d'apprivoiser, avant de poser doucement ses doigts sur son front. Erïka ferma alors les yeux et respira profondément alors que Charles s'infiltrait de ses souvenirs. Elle tenta de le guider dans ce brouillard régnant en maitre dans ses pensées. Puis, soudainement, elle sentit un flot d'images se précipiter dans son esprit, plus claires que jamais.
All around me are familiar faces
Worn out places, worn out faces
//FLASH// La première scène se déroulait dans la voiture qui les menait vers le campement de la secte. Kathleen jeta un regard à Nathanaël, peu rassurée par leur destination. Regarda de nouveau à l'extérieur, elle ne put percevoir que des arbres, autant conifères que feuillus. À l’avant, sa mère était assise, silencieuse, mais légèrement fébrile. L’enfant la toisa longuement, sans oser poser ses petits yeux purs sur l’immonde individu conduisant le véhicule. //FLASH//
//FLASH// Kathleen était assise sur une inconfortable chaise de bois, observant un homme donnant cours devant une petite classe d'une dizaine d'élèves. Elle était alors âgée de dix ans. Assis à ses côtés, Nathanaël. Autour deux, des enfants qu’ils avaient, tous deux, appris à connaitre après quelques mois de vie commune. Chaque visage leur était, à présent, familier et ils avaient compris bien rapidement que certains d’entre eux étaient bien trop imprégnés de cette doctrine satanique. La confiance, la méfiance, il était impossible de faire confiance. //FLASH//
Their tears are filling up their glasses
No expression, no expression
Hide my head I want to drown my sorrow
//FLASH// Nathanaël tentait de détourner subtilement le regard d'une affreuse scène. Ses yeux apeurés croisèrent ceux de sa soeur qui cherchait à faire de même. Ils étaient entourés d'enfants, regardant sans brocher la cérémonie, s'effectuant sous leur regard. À l'écart, ils pouvaient très bien voir l'étendu du sordide spectacle, où, des hommes cachés sous de longues capes noires, exerçaient leur pouvoir sur une femme ayant tenté de fuir. Elle était nue, ensanglantée, rampant sur le parquet de bois tout en criant de peur et d'horreur, pleurant toutes les larmes de son frêle corps amaigris. Les hommes en cape ne cessaient de la frapper, la torturer, jusqu'à ce qu'elle ne rende son dernier souffle. Le cadavre gisant dans une mare carmine fut pendu à l’extérieur pour nourrir les bêtes sauvages rodant dans les environs, devant le regard larmoyant de certains, alors que d’autres gamins restaient totalement stoïques, indifférent au drame qui se produisait devant leurs yeux. //FLASH//
And I find it kinda funny, I find it kinda sad
The dreams in which I'm dying are the best I've ever had
//FLASH//Les ténèbres régnaient dans la pièce. Kathleen se redressa vivement, lâchant un léger cri d’effroi lorsqu’elle émergea de son sommeil. Aussitôt, une chandelle éclaira la pièce de sa faible lueur. Nathanaël se précipita vers sa sœur qui se blottit dans ses bras. Encore un cauchemar, encore et toujours. Les trois autres enfants partageant leur chambre observèrent la scène sans un mot. C’était bien courant chez eux que de faire d’affreux rêves où la mort semblait si proche, si réelle et, surtout, si libératrice. Puis, un coup de feu retentit à l’extérieur. Un enfant souffla sur la bougie et ils se recouchèrent tous, sans faire de bruit. La mort avait de nouveau frappé. //FLASH//
Children waiting for the day they feel good
Happy Birthday, Happy Birthday
Made to feel the way that every child should
//FLASH// Les jumeaux fêtaient leur anniversaire. Enfin, c’était plutôt un jour comme un autre, dans cet enfer. Ils ne dirent rien à personne et se sont simplement contenter de se souhaiter un joyeux onzième anniversaire avant de commencer une nouvelle dure journée. Cependant, ce jour-là, leur mère les attendait à leur sortie de leur dortoir. Elle serra ses enfants dans ses bras, dans une longue étreinte maternelle, avant de repartir, sans un seul mot. Le voilà leur cadeau d’anniversaire, celui auquel personne n’avait droit, habituellement : de l’affection. //FLASH//
I find it hard to tell you
I find it hard to take
//FLASH// Dans ce nouveau souvenir, Kathleen était agenouillée au sol, retenant ses cris et ses larmes, alors qu'on lui retira vivement la lame plantée dans sa chair blanchâtre, laissant une grande plaie sur son avant-bras droit. Le sol était tâché d'un liquide carmin, s'échappant de la blessure que l'enfant tentait de soigner. Cherchant désespérément quelque chose pour stopper l'hémorragie, elle usa d'un morceau des vêtements qu'elle portait. Il n’y avait personne pour la soigner, personne pour s’inquiéter. Ils la regardaient, enfermés dans le plus grand des mutismes. //FLASH//
//FLASH// Une nouvelle bribe de son passé ressurgit. Kathleen courait à en perdre haleine. Devant elle, Nathanaël. Ils fuyaient la secte, espérant ne pas être poursuivit. Ils ne devaient pas s'arrêter avant d'être suffisamment loin de tout cela. Lorsqu'ils le firent, la jeune fille s'effondra, ne pouvant courir davantage. //FLASH//
//FLASH// Les deux jumeaux étaient enfin en ville. Heureux, ils cognèrent vivement sur la porte d’entrée d’une paisible demeure. Leur grand-mère vint ouvrir et fut des plus surprises d’apercevoir ses petits-enfants qu’elle s’empressa de serrer dans ses bras. Enfin, elle les revoyait sains et saufs, sans comprendre où était passée sa propre fille. //FLASH//
//FLASH// Kathleen fouillait dans une boite, dans le grenier de l'ancienne demeure d'Anieta. Elle y trouva un petit coffre de bois, dans lequel reposait une arme. Elle attrapa le revolver ayant appartenu à son défunt grand-père avant de tout replacer, comme si elle n’était jamais venue en ces lieux. Se dépêchant de dévalé l’échelle et de refermer la trappe de la pièce, la jeune fille alla cacher l’arme, qu’elle gardera toujours auprès d’elle, par la suite. //FLASH//
It's a very, very mad world...
//FLASH//Un autre flash, laissant place à un autre moment de vie de la jeune fille. Cette fois-ci, c'était quelque chose de récent. Erïka croisa un jeune homme, dans la cuisine, chez sa grand-mère. Le combat débuta, les deux adversaires se battant avec leurs poings, leurs pieds, se lançant tout ce qui pouvait servir de projectile. Le mutant devint invisible devant les yeux de l’adolescente, qui ne se laissa pas déstabiliser pour autant. Elle connaissait maintenant son pouvoir. Le combat ne s'arrêta qu'à l'arrivée des policiers, lorsque le criminel fut mener loin d’ici.//FLASH//
//FLASH// Elle venait de mettre les pieds dans le Irish Leprechaun. Elle commanda un verre d'eau à Duncan. Elle fut servi, lorsqu'un homme l'aborda. Elle l'envoya promener. Ils commencèrent à se battre. Kiara entra et vint après d'elle. Erïka l'envoya balader. Elle continua de se battre, décidée à se débrouiller seule. Duncan lui vint en aide, malgré le fait qu’elle n’avait rien demandé. Le patron du pub fut tué en voulant intervenir. Erïka attrapa son sac, reprenant son arme des mains de Kiara, avant de sortir rejoindre Duncan qui la mena à l’institut. //FLASH//
//FLASH// On retrouva Erïka dans une rue sombre de New-York, sortie au milieu de la nuit pour prendre l’air. Elle était prête à se battre contre des hommes, la pourchassant. Une mystérieuse bête fut de la partie, sautant sur son adversaire. Erïka en profita pour voler l’arme qui la menaçait. Elle voulut tirer mais n'y arriva pas. Elle s'enfuit, mais fut rattrapée très rapidement. Après quelques coups, l'homme fut mis K.O, par la jeune fille. Erïka décida de passer par une bouche d'égout ouverte pour fuir, alors que des habitants des alentours s’apprêtaient à sortir de leur domicile pour connaitre la source du vacarme qu’ils avaient causé. Elle y croisa Scum, qu'elle menaça de son arme, pensant pouvoir abattre ce qu’elle croyait être un simple animal. Elle se rendit bien compte qu’il n’était pas comme les autres, surtout lorsqu’elle disputa avec lui avant de ranger finalement le revolver. //FLASH//
//FLASH// Erïka marchait dans Central Park. Elle tomba face à face avec Kiara qu'elle bouscula au passage, lui rendant son « tipod ». Le combat s'amorça suite à une onde de choc qui percuta la russe dans le dos et les deux jeunes filles se ruèrent de coups, refusant d’abandonner le combat. //FLASH//
Ce fut le trou noir. Le vide dans son esprit. Charles Xavier venait de mettre fin à cette vague de souvenirs. Erïka battit des paupières, le coeur battant la chamade, les mains moites. Elle observa le professeur Xavier qui se tenait la tête, d'une main. Elle n’osa dire quoi que ce soit, encore ébranlée par ces souvenirs, tous plus clairs les uns que les autres. Elle tremblait légèrement, sous cette avalanche de souvenirs qui revenaient la hanter. Elle avait la mauvaise impression que tout cela datait seulement d’hier. Passant une main sur son visage, l’adolescente constata que de petites perles transparentes coulaient le long de ses joues. Les faisant vigoureusement disparaitre, elle s’adressa au professeur d’une voix étonnamment calmée, légèrement étranglée par des sanglots bien refoulés.
-« Vous comprenez, maintenant ? »
-« J’ai vu les événements horribles que tu as vécu depuis ton enfance… Mais je t’avoue que je ne comprends pas totalement de quoi il s’agissait. »
Erïka devait lui expliquer. Le plus difficile était maintenant derrière elle. Elle ne pouvait se renfermer, de nouveau, dans le mutisme alors que le professeur était si près de connaitre la vérité. Maintenant qu’elle avait refait face à toutes ces images, il lui serait probablement plus simple de tout raconter, dans les moindres détails. Prenant une grande respiration, la mutante de jeta à l’eau.
-« Quand… Quand j’étais enfant, ma mère a rencontré un homme. Elle s’est laissée charmée et au bout de quelques mois, il l’a entrainé dans sa demeure, loin d’ici. Elle était isolée dans la forêt. Ce qu’il n’avait jamais dit, était que d’autres hommes et femmes y vivaient. C’était une très grande maison et, plus loin, il y avait de petits chalets. Dans ces chalets, les hommes nous donnaient cours. Ils racontaient n’importe quoi, parlant d’une divinité qui n’existe pas. L'important était que tout le monde soit persuadé de son existence et ne vive que pour ça, en les prenant pour des messagers de dieu. À l’extérieur, les femmes travaillaient dans les champs, totalement soumises, pour récolter les fruits et légumes que l’on mangeait aux repas. Les hommes, le soir venu, en faisaient ce qu’ils voulaient, c’était comme des esclaves. Elles n’avaient pas le choix d’obéir, sinon elles étaient punies. »
Erïka remonta la manche droite de sa veste, découvrant ainsi une pâle cicatrice, parcourant son avant-bras. Charles l’observa attentivement, faisant le lien avec l’une des scènes qu’il avait vu dans l’esprit de la jeune fille. Il commençait à comprendre pourquoi elle était si réticente à se lier d’amitié avec les autres élèves et passait la majorité de son temps en solitaire. De plus, ses tendances à ne faire que ce qui lui plaisait commençaient, également, à s’expliquer. La liberté, dont elle avait été privée, semblait être tout ce qu’elle désirait. Il avait bien remarqué qu’elle ne se laissait pas marcher sur les pieds, ni même imposer quoi que ce soit si elle ne le souhaitait pas. Peu à peu les morceaux du casse-tête, qu’était cette mystérieuse adolescente, se mettaient en place.
-« C'est ce que ça coute que de ne pas être l'enfant sage qu'ils désirent. On m'a planté un couteau dans le bras. »
Charles posa ses iris sur la cicatrice marquant la peau blême de l'adolescente qui tira doucement sur sa manche, dissimulant de nouveau ce douloureux souvenir, la marquant à jamais, comme une petite partie d'elle. Erïka leva les yeux vers lui, plus sérieuse que jamais. Au fond de son regard si perçant, pointait un soupçon de mélancolie, ainsi qu'une vengeance nettement justifiée. Tel une bête sauvage, elle n'avait soif que de chair et de sang. Cependant, elle ne se contenterait pas de n'importe quel gibier, ayant déjà ses proies dans le collimateur. Ils devaient payer, peu importe le châtiment imposé. La première chose qui lui venait à l'esprit était une torture des plus malsaines, autant physique que psychologique, afin de leur faire vivre le cauchemar de leur vie, l'effroyable douleur à laquelle avaient été durement soumis une bonne centaine de femmes et d'enfants. Alors que les sadiques pensées de la jeune fille s'assemblaient tel un casse-tête méphistophélique, elle continua son récit d'une voix funeste.
-« Je vais vous épargnez les détails, mais je peux vous assurez que ce que j'ai vu dépasse largement votre imagination. Tortures, rituels, meurtres, la liste est longue. J'ai déjà vu une femme brûler vive sous mes yeux. J'ai déjà entendu les cris d'un traitre alors qu'il se fait sauvagement trainer dans la boue par un cheval totalement paniqué, jusqu'à ce qu'il meure de ses blessures. J'ai assisté à des viols de femmes qui se devaient d'obéir, malgré leur dégoût profond, à leur bourreau. J'ai vécu l'enfer, professeur. J'ai vue des enfants pleurer tellement fort qu'ils ont été battus à mort pour qu'ils se taisent enfin. J'ai assisté à des rituels barbares où on ne pouvait plus distinguer les adeptes ensanglantés, les uns des autres. C'était un vrai cauchemar... »
Elle marqua une pause afin de reprendre son souffle. Elle ferma les yeux quelques secondes et tenta de contrôler ses émotions. Elle tremblait toujours, retenant une nouvelle larme, devant cette douloureuse confession. Elle avouait avoir été témoin de crimes odieux par le passé, mais n’avait jamais rien révélé de tout cela à quiconque. Elle ne pouvait plus faire confiance, ce qui la bloquait totalement lorsqu’il était question de se lier d’amitié. Pour éviter que la vérité ne soit dévoilée, il valait, également, mieux qu’elle ne s’approche pas de ces adolescents « normaux » aux problèmes banaux. Enfin, ce n’était pas aussi simple…
-« J’ai passé deux années dans cet enfer, jusqu’à ce qu’on ait l’occasion de fuir… Mon frère et moi, on est partis, un soir, alors que tous les autres enfants dormaient. On avait bien préparé notre évasion. Dès qu’on eut réussis à s’éloigner, nous nous sommes mis à courir très vite, dans la forêt. Nous y avons passé beaucoup de temps, avant d’atteindre la ville. On a survécu du mieux que nous pouvions, malgré les nuits glaciales et le manque de nourriture. Ce fut un véritable soulagement que de retrouver la maison de notre grand-mère. Après, je crois que vous connaissez la suite. Vous êtes venus, quelques années plus tard, vous nous avez parlez de l’institut et j’y suis entrée. »
-« Et ton frère, dans tout cela ? Je crois n’avoir jamais entendu parler de lui. Il a un don, comme toi ? »
-« J’en sais rien. Si c’est le cas, il n’a rien dit. Il a quitté la maison après avoir trouvé un travail pour pouvoir continuer ses études là où il les avait laissées. Depuis, j’ai que des nouvelles de temps à autre. »
Le professeur médita sur ces paroles, toute cette histoire que l’adolescente lui avait racontée. Le petit voyage qu’il avait entreprit, dans son esprit, lui avait permis de comprendre certaines choses, d’aider son élève à délier sa langue afin qu'elle soit en mesure de tout lui raconter. Elle avait gardé, toutes ces années, un lourd secret qui l’écrasait de plus en plus, jour après jour. Comment avait-elle pu réussir à passer à travers cela, seule ? Erïka était dotée d’une grande force mentale, d’un bouclier s’étant endurcit, avec le temps, la rendant pratiquement insensible à la douleur. En fait, même si elle souffrait, la jeune fille avait pris l’habitude de se taire et de subir silencieusement. Elle avait connu les coups et, maintenant, elle se battait pour ne plus en recevoir. Peu importe toutes les fois qu’elle sera touchée, elle se relèvera toujours, faisait fit de la douleur, jusqu’à ce que son corps ne décide de la laisser tomber.
-« Kathleen, cette situation est très délicate, je dois l’admettre. Si tu désires mettre fin à tout cela, je suis prêt à t’aider, mais ce ne sera pas facile. Ce problème à prit beaucoup d’ampleur ces derniers temps et, pour ta sécurité, il vaut mieux que tu limites tes sorties. Un couvre-feu te sera donc imposé. De plus, tu devras être accompagnée lorsque tu sortiras en ville. Tu pourras toujours retourner chez ta grand-mère, mais il me faudra la mettre au courant… »
-« Non. Ne lui dites rien. Surtout, ne lui dites rien. Elle en deviendrait paranoïaque et angoisserait à chaque fois que je sortirais, accompagnée ou non. Nous ne lui avons jamais raconté ce que nous avons vécu là-bas, ça l'anéantirait.»
-« D’accord. Je veux bien ne rien dire pour le moment, si tu promets de respecter mes restrictions. Cependant, sache qu’elle devra connaitre la vérité un jour ou l’autre. »
-« Vaut mieux qu’elle ne sache rien pour l’instant. Je respecterais vos conditions. »
Le silence se réinstalla, mais fut de courte durée. Le professeur, ne connaissant le frère de la jeune fille, songea que ce dernier, en plus d’être très probablement un mutant, devait posséder des informations importantes, qui pourraient faire condamner ces individus, en plus de confirmer les dires d’Erïka.
-« J’aimerais bien rencontrer ton frère. Je crois qu’avec sa version des fait, en plus de la tienne, il sera plus simple de porter des accusations contre ces hommes et leurs… pratiques. »
-« Je peux toujours tenter de le contacter. »
L’adolescente passa une main sur son chignon et tenta de replacer quelques mèches rebelles. Charles, quant à lui, méditait sur les récents souvenirs de l’adolescente. Il avait beaucoup d’informations à traiter, ce qui n’était pas toujours simple. Cependant, il savait maintenant comment elle avait rencontré Duncan, avec qui il avait fait connaissance, quelques semaines plus tôt, à l’institut. Il comprenait aussi l’animosité qui reliait si bien Kiara et son élève, alors qu’il se posait des questions quant à l’identité du mutant écailleux rencontré dans les égouts.
-« Depuis quand sais-tu que ces hommes sont en ville ? »
-« Quelques semaines… Depuis le jour où j’ai rencontré Duncan. Je pensais pouvoir me réfugier dans son pub, mais ces hommes y étaient aussi et on a eu une altercation. Ça a mal tourné et le patron du pub a été tué. Duncan a tenu à me ramener avant l’arrivée des policiers. Ensuite, je les ai recroisés à quelques reprises. Un soir, je prenais l’air à l’extérieur lorsque l’un d’eux m’a abordé. Je l’ai frappé et je me suis enfuie. Deux de ses amis m’ont poursuivi dans une ruelle. J’ai eu un coup de chance cette fois-là. Un mutant m’a sauvé. Il n’a pas une apparence humaine et vit dans les égouts, un peu à la manière des Tortues Ninja. Vous voyez le genre ? Il sort la nuit pour tenter de trouver à manger. Enfin, sans lui, je ne sais pas ce qui serait arrivé. D’ailleurs, il tenait à vous rencontrer. »
-« Connais-tu le sujet de cette rencontre ? »
-« Non, il n’a rien dit. Je lui ai seulement donné l’adresse de l’institut. »
-« Tu as faits ce qu’il fallait. S’il a besoin d’aide, il sera toujours le bienvenu. »
-« D’ailleurs… l’une des armes que je cachais dans mon sac… je l’avais prise à l’un de mes poursuivant, ce soir-là. Ce n’était que pour me protéger, je vous assure. Vous pouvez en faire ce que vous désirez. Par contre, l’autre arme appartenait à mon grand-père…»
-« Je l’ai vu dans un de tes souvenirs. Cependant, je ne peux te permettre de garder cette arme avec toi, même si tu n’as pas de mauvaises intentions. Elle restera sous clé dans mon bureau. Si je n’étais pas intervenu auprès des policiers, pour te sortir de prison malgré tout, tu y serais encore. Ces armes auraient été considérées comme volées, ce qui t'aurait valu de plus gros ennuis.»
Erïka baissa les yeux, quelques secondes, le temps de prendre une grande inspiration. Elle ne pourra récupérer son arme, mais elle savait qu’elle serait en sécurité. Cependant, la jeune fille ne se sentait pas très sécurisée, même si le professeur comptait faire en sorte qu’elle bénéficie d’une meilleure protection lors de ses sorties en ville. Un coup à la porte se fit entendre, faisant sursauter la jeune fille qui leva la tête vers le professeur et le toisa, le regard perçant. Elle lui faisait confiance et espérait qu’il ne la trahirait pas. Cet homme respectable avait certainement des défauts, mais sûrement pas celui d’être un arnaqueur, un fourbe menteur. L’adolescente souhaitait seulement avoir fait le meilleur des choix. Elle se devait, à présent, de contacter son frère et de le convaincre de porter plainte contre ces hommes, avec elle.
-« Promettez-moi de ne rien dire à personne de tout ce que vous savez à mon sujet. »
-« Je te le promet. »
Erïka se leva, chercha à garder son équilibre alors que ses jambes engourdies se remettaient en fonction. La jeune fille décida qu’il valait mieux mette fin à cette discussion, pour le moment. Alors que le professeur invita le nouvel arrivant à mettre les pieds dans son bureau, l’adolescente se dirigea vers la sortie. Passant à côté du professeur McCoy, Erïka se tourna une dernière fois vers Charles.
-« Merci pour tout. »
Refermant la porte derrière elle, Erïka poussa un long soupir de soulagement. Elle revoyait encore toutes ces images dans sa tête, mais, au moins, elle savait qu’elle possédait un allié qui pourra la soutenir en cas de problème. Sur ce, l’estomac gargouillant, la mutante se dirigea vers la cuisine de l’institut, le cœur plus léger. Pénétrant dans la pièce, elle aperçue l’un des élèves de l’institut s’étant multiplier dans le but de faire la cuisine plus rapidement, coupant des légumes, faisant sauter des crevettes dans la poêle, préparant les pâtes, etc. Ses amis, eux, faisaient de la pizza, lançant la pâte dans les airs afin de la faire tournoyer alors qu’ils la faisaient cuire pour obtenir une pâte croustillante. Un élève présent s’amusait à lancer des morceaux de légumes aux autres, riant aux éclats. La jeune fille se faufila et chercha quelque chose à manger, avant de n’être coincée dans cette bataille. Elle eut la chance de sortir juste à temps, avant de voir une véritable guerre de nourriture éclater dans la pièce. Décidément, elle vivait dans un monde de fou…